Il existe peu d’expériences physiques plus intenses, plus intimes et révélatrices que le sont l’acte sexuel, la mort et l’accouchement. Et si la fiction offre un nombre incalculable de saisissantes scènes de sexe ou de trépas, je n’en ai pas trouvé beaucoup qui rendent compte de la souffrance, de la passion et des défis bouleversants d’une naissance.
On est toutes tellement seules dans notre rôle de mère. On peut parler école, échanger les petites choses craquantes qu’ils disent. On peut se plaindre qu’ils nous en font voir. Mais on ne peut pas parler de l’amour terrifiant qu’on leur porte, ni avouer qu’on s’effraie nous-mêmes, en essayant de s’occuper d’eux sans perdre la boule. On ne peut pas parler de tout ce qu’ils nous apprennent, de tout ce qu’ils nous coûtent, de tout ce qu’on leur doit.

1979, deux femmes :
Anna étudiante en art à Washington, âgée de vingt-deux ans, passionnée de photographie.
Cerise, lycéenne californienne, âgée de seize ans, vit avec sa mère Rita,
Toutes deux vont tomber enceinte accidentellement, toutes les deux vont faire des choix différents. Anna décide d’avorter, alors que Cerise décide de mener à terme cette grossesse. Dix ans plus tard, on retrouve Anna mariée et artiste reconnue, elle attend son premier enfant. Cerise, elle, travaille comme femme de ménage en EHPAD, elle élève sa fille seule et a bien du mal à joindre les deux bouts…
Windfalls, publié en 2004 aux Etats Unis, est arrivé chez nous dix-sept ans après, traduit particulièrement bien par Nathalie Bru. Son très beau titre français Apaiser nos tempêtes a été proposé par Franck Bouysse. Pour cette version française, l’auteure Jean Hegland nous offre une préface inédite et splendide. Je peux dire que dès la lecture de la préface j’ai compris que je me trouvais face à une œuvre unique, émotionnellement riche et qui m’habiterait pendant longtemps.
Oui, j’ai profondément et intimement aimé le roman Apaiser nos tempêtes de Jean Hegland. C’est un roman puissant, intense, intelligent, magistral, qui a résonné longtemps en moi, d’une part parce que l’histoire de ces deux femmes m’a touchée et d’autre part parce que l’auteure, en racontant l’histoire de Cerise et Anna, nous livre une profonde et sincère réflexion sur la maternité.
La question de la maternité m’a toujours intéressée, passionnée, bouleversée, fascinée. Je pense que mon hypersensibilité à ce sujet, mon cheminement, mon histoire personnelle, mes rencontres, mes innombrables lectures sur le sujet, le choix de mes études, ont participé à cet attachement profond et à cette préoccupation pour le sujet. Et puis j’ai surtout vécu personnellement cette expérience magnifique, vertigineuse, unique, qui pour moi est une des plus belles aventures de la vie mais qui est aussi une expérience complexe, exigeante, difficile. Je pense sincèrement qu’il faut passer par l’expérience de la maternité pour pouvoir comprendre ce que c’est en réalité. C’est un acte d’amour immense, splendide et inconditionnel mais dans le même temps, cet acte perturbe notre identité car la maternité nous oblige à renoncer à certaines parts de soi, ou du moins à les mettre de côté pendant un temps.
Comme l’évoque Jean-Marie Delassus dans Psychanalyse de la naissance :
« Il était en elle et maintenant il est « hors » d’elle. La maman flotte, se sent bizarre. Elle a changé de fuseau du cœur et se trouve en décalage avec le monde extérieur. Une lame de fond la submerge. Elle ne reconnait plus son identité habituelle, elle connait mal sa nouvelle identité. Des larmes peuvent jaillir, la tristesse et le doute l’envahir »
Il écrira aussi dans Devenir mère. Histoire secrète de la maternité :
« On ne naît pas mère, on le devient. C’est un long parcours qui retrouve un trésor laissé de côté depuis l’enfance, constitué pendant l’enfance, la mère est un secret d’enfance. »
« On ne peut plus laisser croire que devenir mère n’est qu’une disposition de la nature, comme si la maternité allait de soi…Alors que la maternité va en soi. »
Dans Apaiser les tempêtes, Jean Hegland raconte à travers ces deux femmes l’expérience de la maternité et les différentes étapes qui jalonnent la vie d’une mère : de la découverte de la grossesse, aux sentiments qui habitent les femmes tout au long d’une grossesse, à l’accouchement, à ses risques, à ses suites… à cet état d’hyper-vulnérabilité particulière pour chaque femme …à l’ambivalence des sentiments qu’une femme éprouve en devenant mère. A cet amour incommensurable qui les submerge et ne les quitte plus, mais aussi aux inquiétudes, aux doutes, aux angoisses, à la culpabilité… Car contrairement à une idée répandue, la relation mère-enfant n’est pas seulement faite de symbiose et d’harmonie elle est aussi pleine d’ambivalence.
En abordant avec tant de finesse et d’intelligence tous les aspects de la maternité, l’auteure écrit là ou d’ordinaire ce n’est que silence… Elle aborde sans détours la réalité physique de l’accouchement ou celle de l’avortement. Elle n’édulcore rien, elle décrit la réalité, elle nous donne une vision bien moins idyllique qu’on veut bien nous la présenter habituellement. C’est dans une langue précise, juste et efficace, avec des descriptions charnelles quand il s’agit des corps, des descriptions quasi cliniques que l’auteure donne à appréhender, l’intensité et la complexité du réel. J’ai aimé cette lucidité et honnêteté absolues de l’auteure. Car le plus souvent la maternité est présentée comme la chose la plus naturelle et la plus évidente du monde, souvent tout est mis en œuvre pour affirmer que c’est une étape naturelle de la condition féminine, et lorsque les médias nous projettent une image de « mère parfaite et épanouie », il est difficile pour les mères d’admettre qu’il n’en est pas ainsi pour elles. Et pourtant cacher cette réalité c’est engendrer le silence de l’incompréhension et la culpabilité des émotions tues.
Si la maternité est une expérience universelle, c’est avant tout une expérience unique pour chaque femme car elle n’affectera pas toutes les femmes de la même façon. Le milieu social et familial dans lequel on évolue change la perception de la maternité. Les deux personnages féminins du livre sont de deux milieux différents : Cerise est issue d’un milieu défavorisé, elle est élevée par une mère dysfonctionnelle. Lorsqu’elle tombe enceinte, Cerise n’a que seize ans, elle arrête ses études et fait le choix de garder cet enfant et de l’élever seule, elle luttera toute sa vie pour subvenir aux besoins de son enfant. Anna vient d’une famille aisée, elle étudie à l’université et face à cette grossesse inattendue, elle décide d’avorter. L’auteure va nous montrer comment ce choix va déterminer et conditionner le cours de leur vie.
Dans ce livre, l’auteure évoque aussi toutes les difficultés qu’une femme rencontre pour concilier vie familiale et vie professionnelle, mais aussi la difficulté pour une mère seule d’élever une adolescente.
Je ne vais pas tout dévoiler, mais pour finir je veux juste dire que le hasard va réunir ces deux femmes à un moment de leur vie et que ça donne de magnifiques moments de sororité.
Je remercie chaleureusement l’auteure d’avoir su trouver les mots nécessaires, les mots justes, les mots qui répondent aux sentiments éprouvés par toutes les mères. A travers ces deux personnages, elle nous mène au cœur de l’intime des mères, au cœur de la maternité humaine et de ses manifestations qui peuvent être aussi complexes que diverses. Avec ce roman, elle nous donne des pages éblouissantes et stupéfiantes de vérité. J’ai aimé faire ce voyage au pays des mères, j’ai aimé suivre Cerise et Anna dans leur expérience de la maternité et dans « leur devenir mère ». J’ai vibré avec elles, j’ai vécu leur doute, leurs fragilités, leurs inquiétudes, leurs joies… Deux belles héroïnes qui vont me poursuivre dans le temps….
Et pour continuer avec ce thème, ne pas rater le formidable documentaire réalisé par Aude Pépin « A la vie ».
Jean Hegland a écrit Dans la forêt (Gallmeister, 2017), traduit dans soixante-dix langues. Apaiser nos tempêtes est son deuxième roman traduit en français.
Oui être mère est une aventure à laquelle même la mieux préparée n’a pas toutes les réponses. On apprend comme on dis « sur le tas », cela bouleverse tout de ce que nous sommes, de ce que l’on croit être et surtout quand l’enfant grandit il nous confronte parfois à nos erreurs….. Tu m’as convaincu que ce livre est également fait pour moi car c’est un thème, en tant que mère, qui nous touche particulièrement, quelque soit notre vie, notre façon d’être mère, l’avant, pendant et après 🙂
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Ah oui ! Notre enfant c’est notre meilleur thérapeute 🙂 il nous renvoie à certains de nos symptômes les plus archaïques et nous apprend beaucoup sur nous même 🙂 Jean Hegland est l’auteure de Dans la forêt ,j’ai entendu bcp parler de ce roman mais je ne l’ai pas lu.
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Une dystropie que j’ai beaucoup aimé j’avais d’ailleurs également lu sa version roman graphique 😉
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Je vais lire ton billet 😉
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En effet, j’avais déjà lu ta chronique
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